jeudi 21 août 2014

L’exemple de l’Islande montre que, pour sortir de la crise, des chemins de traverse existent. L’État a accepté de laisser les banques faire faillite, mais il a surtout adopté des mesures résolument sociales.


En Islande, le mois d’octobre 2008 a été marqué par des événements dramatiques. Il est apparu que l’économie ne pouvait plus soutenir l’extraordinaire croissance que le pays avait connue au cours des années antérieures. Moteur de cette croissance, le secteur bancaire s’était développé très rapidement, au point de représenter plus de dix fois le produit intérieur brut (Pib) du pays. Or il se voyait confronté à la faillite avec, comme conséquence, l’effondrement, voire l’annulation complète, de la valeur des actions cotées à la bourse nationale. Les principaux indicateurs économiques viraient au rouge et les taux d’intérêt explosaient. L’inflation culminait à 18 %. Quasiment inconnu pendant la période précédente (1 % seulement), le taux de chômage bondissait à 9 % et plusieurs analystes craignaient que la situation ne s’aggrave davantage. La couronne islandaise, qui avait bénéficié de l’apport d’énormes montants de capitaux spéculatifs à la recherche de rémunérations élevées, s’effondrait brutalement. La réputation du pays était en miettes. La question n’était plus de savoir s’il ferait défaut sur sa dette mais de savoir quand.


L’Islande a demandé l’aide de ses voisins nordiques et du Fonds monétaire international pour endiguer la crise et éviter l’effondrement total. Le pays avait certes connu de graves récessions au cours du XXe siècle, mais ce krach-là présentait différentes dimensions avec, simultanément, une crise monétaire, une crise bancaire et une crise financière. Le parlement a réagi en adoptant une législation d’urgence dotant l’Autorité des services financiers et le gouvernement de pouvoirs sans précédent leur permettant d’intervenir sur les marchés financiers. Cette législation octroyait à tous les déposants (gros et petits) un statut prioritaire par rapport aux autres créanciers, les détenteurs d’obligations notamment. Tous les dépôts furent transférés vers de nouvelles banques, avec les emprunts et les actifs correspondants. Quant aux banques en faillite, elles furent mises sous tutelle, y compris les dépôts placés dans les succursales étrangères. Cette mesure fut à l’origine du litige Icesave opposant l’Islande au Royaume-Uni et aux Pays-Bas.
Cette voie choisie par l’Islande visait à séparer, au sein des établissements en faillite, la partie malade de la partie saine, pour sauvegarder cette dernière. Un sauvetage généralisé était hors de portée, et c’est pourquoi l’Islande s’engagea sur un chemin différent de celui emprunté habituellement par les nombreux pays confrontés à une crise bancaire. La séparation reposait sur des principes solides. Les banques islandaises détenaient une masse de dettes toxiques résultant de projets hasardeux. Mais aussi des actifs importants qu’il fallait préserver : ils furent placés dans de nouvelles banques financées par l’État et qui fonctionnent toujours à l’heure actuelle. Les fonds publics furent ainsi réservés au sauvetage d’institutions dont les actifs étaient sains et importants pour le bon fonctionnement de la société.

Laisser les banques faire faillite

La solution islandaise, qui s’écarte de l’orthodoxie habituelle, a suscité étonnement et intérêt. En 2007 et 2008, le gouvernement de droite alors au pouvoir avait tenté un sauvetage classique, qui s’était soldé par un échec. Les efforts consentis alors s’avérèrent extrêmement coûteux : la Banque centrale d’Islande se trouva de facto en faillite et les pertes atteignirent 11,1 % du Pib. Le feuilleton islandais peut être considéré comme l’histoire du « héros malgré lui » !
Les coûts budgétaires de la crise proviennent, pour une part, du refinancement des nouvelles banques. L’augmentation de la dette publique, si elle s’explique aussi par un accroissement des dépenses sociales, est largement imputable à la réserve de monnaies étrangères constituée pour soutenir la couronne islandaise.

Il existe plusieurs options pour résoudre une crise bancaire. Rien n’oblige l’État à sauver à tout prix les banques menacées de faillite.



Avec la recapitalisation des nouvelles banques, l’État est devenu quasi-propriétaire du secteur. La croissance économique est désormais repartie (2,7 % en 2011, 1,5 % en 2012 et 3,3 % en 2013) et la valorisation des actifs s’améliore. L’État encaissera à l’avenir des recettes importantes qui lui permettront de rembourser son apport initial. Il espère qu’il lui sera totalement restitué à terme, intérêts compris.
Ce choix, qui s’avéra judicieux, montre bien qu’il existe différentes options pour résoudre une crise bancaire. Rien n’oblige un État à sauver à tout prix des banques menacées de faillite. Il peut, au contraire, en profiter pour réduire leur taille et éliminer leurs dettes toxiques. Une analyse approfondie pour décider ce qui doit être préservé est alors bienvenue. Quand un établissement fait faillite, ce n’est pas sans raison et un gouvernement doit s’assurer qu’il ne dépense pas son argent pour rien.
Dans le cas islandais, des mesures ont été mises en place, dans un programme du FMI, pour contrôler les mouvements de capitaux. Ceci a contribué à stabiliser la monnaie et à stopper l’énorme fuite des capitaux spéculatifs qui avaient été placés en Islande par des investisseurs étrangers avant la crise. En effet, l’Islande appartient à l’Espace économique européen et le pays a adopté la plus grande partie de la législation relative au marché unique, y compris la libre circulation des capitaux.
Pour résoudre la crise, aucune entreprise publique ni aucun service public n’ont été privatisés. À l’inverse, de nouveaux services publics ont été introduits : les soins dentaires universels pour les enfants, le large développement des transports publics… Les emprunts dont les taux étaient liés aux devises étrangères ont été déclarés illégaux par la Cour suprême, entraînant une réduction considérable des créances pour les banques. De même, le gouvernement a engagé l’annulation de créances pour les maisons sur-hypothéquées, plusieurs mesures en faveur des personnes endettées et des réductions considérables de la dette des sociétés.

Démocratie et changements sociaux

Le gouvernement s’est également attelé à une réforme radicale de la Constitution. Quel rapport entre celle-ci et les échecs économiques rencontrés ? Si la réponse n’est pas claire, il s’agissait néanmoins d’une des exigences principales exprimées lors des manifestations de 2008-2009. Les événements de 2008 étaient tellement inédits qu’ils appelaient une réforme : pour certains, il s’agissait d’un cas de force majeure mettant en question le contrat social entre les citoyens et la République.
Pour préparer la réforme constitutionnelle, on instaura une assemblée constituante indépendante, chargée de réfléchir aux changements nécessaires. Un nombre étonnamment élevé de citoyens (523 pour 320 000 habitants) firent acte de candidature – tous les électeurs pouvaient se présenter – et 25 d’entre eux furent élus. Les candidats ne représentaient aucun parti politique ; ils se présentaient à titre individuel. Suite à une décision controversée de la Cour suprême annulant ces élections, le Parlement nomma les élus pour qu’ils siègent au sein d’un « conseil constitutionnel » remplissant le même rôle. Celui-ci privilégia une communication ouverte avec tous les citoyens, encourageant la participation à travers les réseaux sociaux, sans délaisser les canaux plus traditionnels. Malgré un mandat limité à quatre mois, ce conseil est parvenu à proposer une révision détaillée et complète de la Constitution au cours de l’été 2011.
Les freins sont venus du Parlement : il devait entériner tout amendement à la Constitution par deux fois, un référendum national étant organisé entre les deux décisions. Or la majorité du Parlement n’est pas parvenue à adopter une loi sur la réforme constitutionnelle, malgré un référendum consultatif favorable aux modifications proposées par le Conseil constitutionnel (en octobre 2012). Considérant l’ensemble du processus comme une erreur, l’opposition – en particulier le parti conservateur – fit obstruction au Parlement. Si le résultat final fut décevant pour ses partisans, le projet en tant que tel n’est pas sans intérêt : c’était une tentative pour impliquer les citoyens dans l’élaboration d’une réforme substantielle, à une période où nombre d’entre eux jugeaient que les institutions les avaient abandonnés. À l’heure actuelle, un comité composé de plusieurs partis politiques révise la constitution, dans le but d’aboutir à de nouvelles propositions. Parviendra-t-on, cette fois-ci, à un consensus[1] ?


Le non-sauvetage des banques, qui a fait couler beaucoup d’encre, n’est pas ce qui a tiré le pays de la récession. La reprise est davantage imputable aux mesures de consolidation mises en place après la faillite et qui s’appuyaient sur des principes sociaux. Parmi ces mesures : une forte augmentation de l’impôt sur les rémunérations les plus élevées, le relèvement des taxes sur les revenus du capital, l’augmentation du taux d’imposition des bénéfices des sociétés, l’instauration de nouveaux impôts sur la fortune, sur les nuisances environnementales et une taxe carbone. Le contrôle des mouvements de capitaux a permis d’éviter leur fuite et de retenir les actifs des créanciers des banques faillies. De même, une taxe de rente économique a été instaurée sur les produits de la pêche (les bénéfices de cette industrie profitant des exportations, stimulées par la dévaluation de la couronne islandaise) et une taxe spéciale appliquée aux nouvelles banques. Cet ensemble de mesures, allié à la gestion d’un déficit pour financer des programmes sociaux destinés à atténuer l’impact de la crise, a largement contribué à la reprise économique. En 2011 et 2012, par exemple, 1 % du Pib était consacré à subventionner les taux d’intérêt accordés aux ménages endettés. Un ensemble de mesures sociales à caractère incitatif a été introduit en 2011, parallèlement à l’augmentation des salaires et des prestations sociales. D’où ce constat de l’OCDE : « Les inégalités de revenus ont considérablement reculé en Islande, permettant au pays de descendre de onze places sur l’échelle des pays les plus inégalitaires et de devenir le pays de l’OCDE où le niveau d’inégalité est le plus faible. Les politiques de consolidation semblent avoir été conçues d’une manière globalement égalisatrice[2]. »

Un ensemble de mesures sociales à caractère incitatif a été introduit en 2011, parallèlement à l’augmentation des salaires et des prestations sociales.






L’Islande est, d’ailleurs, le seul membre de l’OCDE où le niveau moyen des plus hauts revenus a diminué davantage que celui des personnes aux revenus les plus bas. Les mesures adoptées pour sortir de la crise l’ensemble de la société (et pas uniquement les banques) trouvent ainsi une justification non seulement sociale et morale, mais aussi économique. La coalition de gauche est parvenue en quatre ans à renverser radicalement la situation : le déficit a fait place à un excédent, la croissance est revenue en 2011, 2012 et 2013 ; l’inflation a été maintenue au-dessous de 4 %, les taux d’intérêt ont diminué de 12 %, le taux de chômage a été ramené à 5 %. La monnaie a été stabilisée, même si c’est avec un contrôle des mouvements de capitaux. Si plusieurs problèmes économiques subsistent, le pays est sorti d’une crise profonde.
L’expérience islandaise invite à ne pas craindre de rompre avec les pratiques habituelles. Quand un pays est confronté à une crise économique, il existe d’autres issues que celles mises en œuvre à Chypre, au Portugal, en Irlande, en Grèce… Certes, les néolibéraux présentent un front commun, soutenant que leur méthode de traitement des crises (sauver les banques et appliquer l’austérité) est la meilleure, face à une gauche hésitante, divisée sur la stratégie à choisir. Le consensus néolibéral est tel qu’il s’impose plus facilement à chacun, persuadé que la seule solution est celle de l’orthodoxie. Pourtant, les faits le démentent : la vulgate néolibérale a conduit de nombreux pays à l’abîme et se montre incapable de proposer une voie pour en sortir. Un pays ne peut émerger d’une crise en laissant son peuple derrière lui.
Article traduit de l’anglais par Christian Boutin.

[1] En avril 2013, les partis de centre-droit (le Parti du progrès et le Parti de l’indépendance) ont remporté une majorité de siège aux élections législatives, sanctionnant la coalition de gauche au pouvoir depuis 2009. Leur côte de popularité a considérablement chuté depuis, passant sous la barre des 50 %.
[2] « Crisis squeezes income and puts pressure on inequality and poverty », OCDE, mai 2013.

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