vendredi 22 août 2014

La douce musique de l’impôt


  Manifestation pour un impôt juste, Paris, décembre 2013 © Aurore Chaillou/Revue ProjetManifestation pour un impôt juste, Paris, décembre 2013 © Aurore Chaillou/Revue Projet


Placardée sur un fond bleu-blanc-rouge, l’image d’un gros moustique, sous laquelle on peut lire : « RSA : 10 milliards €. Fraude fiscale : 50  milliards €. Alors, c’est qui le parasite ? » La question est provocante. Mais que vient donc faire le Secours catholique, auteur en 2012 de cette campagne d’opinion, sur un terrain aussi polémique ?




Le débat public sur le rôle de l’État est saturé par deux voix qui se répondent. D’un côté, on stigmatise les « assistés » : ces cohortes d’individus qui feraient délibérément le choix de vivre aux crochets de la société. Le Secours catholique peut témoigner au quotidien de la perversité d’un tel discours, qui ajoute chez celles et ceux qu’accueille l’association, un sentiment de honte et de culpabilité à la misère et l’exclusion subies. En contre-chant, on arbore un bonnet rouge, le costume du pigeon, sinon celui de l’homme politique responsable, pour brocarder le « trop d’impôt ». La critique, fondée ou non, fait le lit de tous ceux qui font le choix de s’affranchir, dans le cadre ou en marge de la loi, de leur contribution à la charge commune.


L’hostilité à l’impôt n’est pas neuve. Que l’on songe au « vampire aux doigts crochus » évoqué par Robert Goupil dans sa « Réponse au percepteur » : « D’ici quelque temps, chacun devra déclarer les poils qu’il a sur les bras, les jambes ou l’estomac », s’inquiétait le chanteur en 1933. Mais trois phénomènes renouvellent le paysage. La multiplication des dérogations nuit à la lisibilité de la politique fiscale. Surtout, elle octroie aux plus fortunés un pouvoir démesuré dans l’orientation de la dépense publique (cf. K. Weidenfeld). Fût-ce au nom de l’intérêt général, comme dans le cas des fondations (cf. M. Calame). Les techniques de contrôle conduisent les autorités à se montrer implacables envers les petits fraudeurs, mais plus conciliantes avec la grande fraude, difficile à déceler (cf. A. Spire). Enfin, la libre circulation des capitaux fait vaciller l’impôt sur son fondement, le territoire, et basculer la charge fiscale des plus mobiles – souvent plus riches – vers les immobiles (cf. J. Merckaert).




L’administration fiscale n’en constate pas moins un très fort consentement à l’impôt aujourd’hui (cf. N. Delalande). Si l’impôt déçoit, c’est fondamentalement parce qu’il peine à honorer ses promesses. Relégitimer l’impôt, c’est d’abord répondre aux enjeux de l’époque. À commencer par celui du détournement par les multinationales des richesses produites sur les territoires où elles opèrent. Faut-il les imposer sur leur profit mondial ou continuer de les considérer comme autant d’entités séparées qu’il revient à chaque État de taxer ? Le débat ne fait que commencer (cf. P. Saint-Amans et S. Picciotto). Et les ajustements juridiques ne suffiront pas, si les entreprises conservent pour seul cap l’abaissement des charges : l’enjeu appelle une réponse éthique dans la gouvernance même des entreprises (cf. H. Singer). L’explosion des inégalités représente un autre défi majeur, au point qu’il inquiète les médecins (cf. R. Wilkinson). Or cette inégalité est d’abord celle des patrimoines : ce sont eux qu’il faut prioritairement imposer si l’on aspire à une société plus juste (cf. T. Piketty). Enfin, l’inversion des raretés – le facteur travail étant désormais abondant tandis que les ressources naturelles s’amenuisent – invite à un basculement de la fiscalité. Encore faut-il emporter la conviction (cf. J.-C. Hourcade).




Le « ras-le-bol fiscal » serait-il le signe d’un délitement de notre sentiment d’appartenance ? Certains y voient leur intérêt. Mais le requiem du contrat social n’a pas sonné. Simplement, une autre musique reste à inventer. En 1933, répondant à Goupil, Georges Milton entonnait gaiement cet hymne au civisme fiscal : « Bien des gens, paraît-il, ne payent pas leurs impôts. (...) Moi, je n’approuve pas ça, jdis qu’ ce n’est pas permis. Et constamment j’ demande aux parents, aux amis : As-tu déclaré ton salaire ? As-tu déclaré tes r’venus ? » Y aurait-il des volontaires, aujourd’hui, pour répondre à nos artistes qui confondent évasion fiscale et « liberté de penser » ? Le bourdonnement du moustique n’a rien d’agréable.
À lire dans la question en débat
« Comment relégitimer l’impôt ? »

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