vendredi 27 février 2015

Comment les agrocarburants ont conduit aux fermes-usines.

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Si Sofiprotéol a bâti sa fortune sur les agrocarburants, bien aidés par les pouvoirs publics, il assied désormais sa puissance dans le monde agricole par l’élevage. Rebondissant sur la crise du lait, il s’est positionné comme le leader de l’alimentation animale. Et favorise le développement des fermes-usines pour écouler ses stocks. Avec une nouvelle astuce pour faire accepter le tout : la méthanisation, nouvelle énergie propre à la mode.

Sofiprotéol a donc construit son empire sur un agrocarburant, le diester, qu’il a abondamment financé grâce aux fonds publics. Soit. Mais il reste un problème à régler : que faire des déchets issus de sa production ?
Car la trituration, l’étape industrielle qui transforme le grain de colza ou de tournesol en huile végétale, laisse à sa suite un coproduit, qu’on appelle le tourteau. Pour 1 000 kg de ces graines qui donneront le diester, on obtient 560 kg de tourteaux.
Or la production de diester se faisant plus importante avec le boom des années 2000, le volume de tourteaux disponible est devenu chaque année plus conséquent.
Heureusement pour Sofiprotéol, ce tourteau constitue une nourriture très protéinée, parfaite pour remplacer dans l’alimentation animale le soja OGM tant décrié, venu d’Amérique. Cela tombe d’autant mieux que la filière des agrocarburants ne s’avère plus si rentable : “Les tourteaux sont indispensables à l’équilibre économique de la filière huile alimentaire et carburant”, explique Luc Ozanne, à la direction des engagements Sofiprotéol.
Valorisation indispensable en alimentation animale
Compte tenu des volumes à écouler, l’avenir du diester s’avère dépendre de la capacité des animaux à absorber ces tourteaux. C’est pourquoi, en 2007, Sofiprotéol prend le contrôle de Glon-Sanders, alors le n°1 en France de l’alimentation animale. La "pieuvre Sofiprotéol“, comme la qualifie Attac, participe également à l’offre publique d’achat d’Evialis, une autre entreprise spécialisée dans l’alimentation animale.
 
- Logo de la marque Sanders, appartenant désormais au groupe Avril -
Le colza est mis à la mode dans l’alimentation animale. Les coopératives s’y mettent, à l’image d’InVivo qui “engage des études sur les coproduits (du colza énergétique NDLR) et leur utilisation en alimentation animale”.

Les chambres d’agriculture font de la réclame, comme celle de la Haute-Marne avec cette accroche : “Le tourteau de colza pur, ça marche aussi !!”.

Dans le même temps, afin de rendre le colza digeste pour tous les animaux, l’entreprise met à contribution la recherche, celle de l’INRA (Institut national de la recherche agronomique) notamment. On le teste même pour nourrir le canard.


Mais le résultat tarde à venir : en 2009, les incorporations de tourteaux de colza dans l’alimentation animale sont de 31 000 tonnes alors que la production de diester atteint 1,8 million de tonnes. Le compte n’y est pas.

Le défaut de l’herbe : elle pousse toute seule


 

- Usine Sanders en Bretagne -
Pour Sofiprotéol, il faut donc s’assurer de meilleurs débouchés. Les vaches laitières, très gourmandes en protéines, en représentent un très intéressant : la France, deuxième producteur laitier d’Europe, en compte alors pas loin de 4 millions. Problème, nos bovins consomment encore en majorité “cette herbe suspecte de pousser toute seule”, dixit un ancien dirigeant de la FNSEA.

C’est à ce moment-là qu’intervient la crise du lait, en 2008 et 2009. Elle marque le tournant. La FNPL (Fédération nationale des producteurs de lait), branche laitière de la FNSEA (Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles) prône la contractualisation comme solution à la crise.
De quoi s’agit-il ? En échange de la collecte d’un volume de lait garanti, l’éleveur doit s’engager à acheter à sa coopérative tous les produits qu’elle peut lui vendre. En tête desquels… l’alimentation animale.

- La contractualisation selon le rapport Racine :
PDF - 1.9 Mo
La Fédération nationale des coopératives laitières (FNCL) avait commandé la rédaction d’un règlement intérieur de coopérative laitière au cabinet Racine de droit des affaires, en 2009, avant la contractualisation.

L’effet de levier d’un tel contrat serait une aubaine pour Sofiprotéol. Et qui est alors le vice-président de la FNSEA qui pousse dans le sens de cette contractualisation ? Xavier Beulin, qui dirige en même temps Sofiprotéol…

Mais la majorité des éleveurs refuse cette clause, tout comme de négocier un contrat en direct avec leur laiterie - souvent des géants comme Lactalis ou Sodiaal. Et devant la levée de boucliers provoquée par cette idée, le projet est plus ou moins abandonné.

Un fonds laitier géré par Sofiprotéol


Au même moment (2008), un fonds interprofessionnel laitier se crée, le Fedil, doté de 15 millions d’euros, pour soutenir la filière laitière. Et à qui est confiée la gestion du Fédil ? A Sofiprotéol.
Joli tour de passe-passe : on ouvre la porte du marché laitier à l’activité industrielle de Sofiprotéol, mais on justifie ce choix par son activité financière. Le mélange des genres est total : “Les élevages laitiers constituent le premier débouché des tourteaux de colza. Il était donc naturel que Sofiprotéol mît son savoir-faire d’établissement financier à la disposition du Centre national interprofessionnel de l’économie laitière (Cniel) pour gérer son Fonds de développement des entreprises de transformation laitière (FeDil)”, déclare Sofiprotéol dans son rapport d’activité 2011.
- L’extrait du rapport d’activité :
PDF - 116.6 ko
Les fermes tombent les unes après les autres. Les éleveurs sont pris en tenaille entre un prix du lait qui baisse et des charges en hausse : le prix de l’alimentation animale s’est envolé avec celui des céréales (en partie à cause des agrocarburants, qui réduisent l’offre), tandis que le prix du pétrole - nécessaire aux tracteurs, aux machines agricoles, aux engrais, etc. - flambe. Ils demandent une régulation des volumes de lait et un prix qui tienne compte de ces hausses. Sans être entendus. La contractualisation est finalement rendue obligatoire par la Loi de modernisation agricole en 2010. Elle impose un bras de fer très inégal. L’industrialisation de l’élevage est en route, comme le chantent les éleveurs laitiers :
Le Haut conseil à la coopération agricole (HCCA), alors présidé par… Xavier Beulin, chiffre en 2010 les conséquences dans un rapport au titre explicite : La filière laitière française : la compétitivité aura un prix, des choix inéluctables.
- Télécharger le rapport :
PDF - 2.7 Mo
Le scenario prévoit la réduction par deux ou par trois du nombre de fermes laitières à l’horizon 2035. Le résultat est connu : il faut compenser par de grandes fermes.
Le colza, la solution à tous vos problèmes...
D’ailleurs, Xavier Beulin ne s’en cache pas : les troupeaux doivent s’agrandir nous dit-il. C’est le seul moyen de s’en sortir :

- Ecouter Xavier Beulin : Aller à la page===>
De son côté, un éleveur d’Ille-et-Vilaine, premier bassin laitier de France explique : “On fait grandir les exploitations laitières pour que les éleveurs achètent de plus en plus de colza. Plus le troupeau grandit, moins les vaches vont dehors. C’est trop compliqué de les sortir entre deux traites, de trouver assez de prairies à proximité. Vous verrez : plus il y a de vaches dans une ferme, plus les silos de granulés sont gros !” Pour lui, pas d’alternative : ses animaux consomment du colza de Glon-Sanders, première filiale dans l’alimentation animale de Sofiprotéol.

Sans surprise, la ferme-usine des Mille vaches prévoit elle aussi un régime à base de colza. Un vrai avantage selon ce document extrait du dossier présenté par l’actionnaire unique, M. Ramery, pour l’obtention des autorisations.
- Dossier de la SCEA de La Cote de la justice, promoteur de la ferme-usine des Mille vaches :
PDF - 76.6 ko
La ferme-usine des Mille vaches se fournit-elle chez Sofiprotéol pour son colza ? Rien ne permet de le dire.

En tout cas, pour toutes les autres fermes-usines, faites le calcul : une vache ingère en moyenne 3,5 kg de tourteau de colza par jour. Soit, pour 1 000 vaches, 3 500 kg de tourteau de colza par jour et 1277 tonnes par an. Une bénédiction pour le diester ! Comment ne pas souhaiter leur multiplication sur le territoire, quand on produit des tourteaux de colza ?

Mais cela ne suffit pas. Car en élevage laitier, la taille ne fait pas la compétitivité. Les fermes les plus rentables sont celles qui transforment le lait et récupèrent la valeur ajoutée autrement captée par les laiteries. Le meilleur exemple est celui des AOC de montagne (Beaufort, Comté, Abondance…) qui sont restées à l’abri de la crise.


La rente de la méthanisation



Alors comment permettre à une ferme géante d’être compétitive ? La solution prônée, notamment par le rapport sur l’élevage laitier et allaitant du député Germinal Peiro en 2013, est de valoriser les effluents d’élevage. C’est-à-dire la bouse. Ou le lisier pour les cochons. Bienvenue dans le monde enchanté de la méthanisation.
Lire la fin====>

mardi 10 février 2015

Excédents records : le très vilain petit secret que cachait le commerce extérieur allemand.





L'office fédéral allemand des statistiques a annoncé lundi 9 février que les excédents commerciaux Outre-Rhin avaient dépassé les 200 milliards d'euros en 2014. Si les admirateurs récurrents du modèle allemand s'en servent pour confirmer leurs hypothèses, cette "performance" illustre surtout les résultats d'une politique économique agressive envers ses partenaires européens.

Bien que ce montant -217 milliards d’euros- soit dépourvu de toute réalité quotidienne, sa signification apporte une grande fierté à l’Allemagne et à ses admirateurs. Il s’agit du montant de l’excédent commercial de biens allemands, qui atteint, pour cette année 2014, un nouveau record. L’équivalent du PIB de la Grèce ou encore du Portugal.

Bien évidemment, ce type de publication engendre toute une série de réactions admiratives et envieuses, face à "l’insolente réussite allemande".
Le modèle allemand, c’est "trop bien", c’est du solide. Par contre, le fait objectif que ce surplus commercial soit à l’origine de déséquilibres gigantesques au sein de la zone euro et qu’il soit une cause majeure de la crise actuelle ne pèse pas bien lourd face à l’émerveillement collectif.
Pourtant, en mars 2014, même la Commission européenne avouait se préoccuper du problème posé par les excédents allemands :

"L’Allemagne connaît des déséquilibres macroéconomique qui exigent un suivi et une action politique. En particulier, le compte courant a constamment enregistré un excédent très élevé, ce qui reflète une forte compétitivité et une grande quantité d'épargne investie à l’étranger. C’est aussi un signe que la croissance domestique est restée faible et que les ressources économiques n’ont pas été allouées de façon efficiente."


De quoi s’agit-il ? Un excédent de compte courant correspond à une différence favorable entre les exportations et les importations. Le pays exporte plus qu’il n’importe, sa balance est donc positive. Mais il ne s’agit pas là de l’explication la plus satisfaisante. Car un tel excédent a également une autre signification : La consommation allemande est tout simplement insuffisante pour absorber sa production totale. Si le pays produit beaucoup et consomme peu, un déséquilibre apparaît et il est alors nécessaire d’exporter le surplus en question.

Toute la question repose alors sur la méthode employée pour parvenir à ce résultat record de 217 milliards d’euros. Au cours des années 90, l’Allemagne post-réunification souffre d’un chômage élevé et d’une faible compétitivité. Afin de remédier à cette situation, et de façon concomitante à l’arrivée de l’euro, le pays va mettre en place une stratégie de contrainte salariale. Les salaires sont bloqués.

Dans une ambiance européenne de croissance soutenue, l’Allemagne va alors bénéficier de la forte demande de ses partenaires européens. A l’inverse, la demande intérieure allemande pantoufle sagement en raison de la stagnation des salaires. Le déséquilibre recherché commence à produire ses effets. Ainsi, les exportations vont progresser d’autant plus que les salaires seront stables, et ce, en surfant sur la croissance européenne, notamment des pays périphériques. Pour être clair, l’Allemagne va "importer" la demande des autres pays, ce qui revient à dire que le pays exporte son chômage chez ses partenaires. Bien entendu, il ne s’agit pas d’une stratégie coopérative mais bien d’une pure agression économique. Mais à cette époque, au sein de la zone euro, c’est le sacre du "vivre ensemble".

Car si une telle stratégie peut être tolérée dans une union afin de permettre à un pays de se redresser, certaines limites doivent être respectées. Mais ces limites ont été explosées depuis longtemps par l’Allemagne. Jusqu’à en arriver à cet excédent commercial de 217 milliards d’euros.

Un excédent qui ne se justifie aucunement par une quelconque "supériorité" du travail allemand. En effet, si le pays avait réussi à se redresser grâce à des efforts en termes d’investissement, de recherche et développement, d’infrastructures modernes, d’éducation, bref, en une amélioration de la productivité, cela se verrait dans les chiffres.

Au lieu de cela, les gains de productivité allemands sont restés faibles (inférieurs à ceux de l’Espagne et identiques à ceux de la Grèce entre 1998 et 2014). Les dépenses d’investissement "productifs" (machines et équipement) n’ont progressé que de 2.99% en termes nominaux au cours des 15 dernières années. Une misère. La part globale de l’investissement est passée de 23% en l’an 2000 à moins de 20% en 2014. Les dépenses d’infrastructure ont suivi le même chemin. Non. La conquête allemande ne s’est pas faite en améliorant la productivité.

Seulement en baissant le part des salaires. Ce n’était pas la peine de faire compliqué.

Mais cela a rendu les entreprises locales hyper compétitives. Bêtement et naïvement, les entreprises des autres pays européens ont continué de partager la valeur ajoutée avec leurs salariés, ce qui a provoqué leur perte. Le partage des richesses est décidemment une notion "has been".
Entre 2000 et 2014, la part des profits des entreprises allemandes dans la valeur ajoutée a ainsi progressé de 60% alors que la part des salaires ne progressait que de 30%. Du simple au double. Sans hausse de salaires, les consommateurs allemands se retrouvent bridés dans leurs achats, ils subissent une situation de sous-consommation par rapport à la production.

Mécaniquement, cette faible consommation va générer une hausse de l’épargne. Non pas une hausse de l’épargne des ménages allemand, mais des entreprises qui se retrouvent gavées de cash. Et l’ironie de ce mécanisme est que, comme cela est précisé plus haut, les entreprises allemandes ne vont pas profiter de cette situation favorable pour investir dans leur pays. A quoi bon investir dans un pays qui ne consomme pas ? Pas de dépenses dans les salaires, pas de dépenses dans l’investissement. Entre 2000 et 2008 les entreprises allemandes vont alors choisir de financer les déficits des pays périphériques de la zone euro. Avec un succès très relatif.

Mais depuis 2008, les pays périphériques n’ont plus le droit de recourir aux déficits pour se protéger des excédents allemands et sont "invités" à redresser leurs comptes. Mais aussi longtemps que les excédents allemands existent, la seule solution pour absorber de tels excédents est d’accepter une forte hausse du chômage. Afin de rétablir l’équilibre.

Evidemment, ces "autres" pays européens pourraient être tentés de continuer à faire la même chose pour rattraper leur retard. Le problème, c’est que cela n’est pas possible aussi longtemps que l’Allemagne continue dans la même voie. Car si tout le monde compte sur le voisin pour acheter sa production, il arrive un moment où il n’y a plus de voisin.

L’Allemagne agit encore aujourd’hui comme si elle était le malade de l’Europe, alors qu’elle est en situation de plein emploi. La zone euro n’est plus une zone de coopération, elle est une zone de compétition dure ou le plus fort ne cesse d’appuyer sur son avantage.

A l’inverse, les vrais malades ne peuvent pas compter sur un juste retour des choses. Pour les entreprises allemandes, en Europe, c’est chacun mon tour. Tant pis pour les salariés allemands, et tant pis pour les autres. Ces 217 milliards d’excédents ne sont rien d’autre qu’une preuve flagrante du dysfonctionnement européen. 



HSBC, une banque au lourd passé et au présent sulfureux

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La banque HSBC est revenue sur le devant de la scène. Selon les informations publiées par plusieurs organes de presse le 9 février 2015, 180,6 milliards d’euros seraient passés, à Genève, par les comptes HSBC, entre le 9 novembre 2006 et le 31 mars 2007 (soit en moins de 5 mois !) |1|. Mohamed VI roi du Maroc, des vedettes du monde du spectacle, de multiples sociétés privées, auraient confié à HSBC la mission de dissimuler au fisc et à la justice de leur pays une partie de leurs revenus. Dans l’article ci-dessous, nous revenons sur l’histoire passée et récente d’HSBC, une des principales banques privées à l’échelle mondiale.

Le sigle HSBC signifie “Hong Kong and Shanghai Banking Corporation”. Dès ses origines, la banque est mêlée au commerce international de drogues dures. En effet, elle a été fondée dans le sillage de la victoire britannique contre la Chine dans les deux guerres de l’opium (1839-1842 et 1856-1860). Ces deux guerres ont joué un rôle décisif dans le renforcement de l’empire britannique et dans la marginalisation de la Chine qui a duré environ un siècle et demi. Au cours de ces deux guerres, le Royaume-Uni a réussi à imposer à la Chine d’accepter les exportations britanniques d’opium en provenance de l’Inde (qui faisait partie de l’empire britannique).

La Chine a bien tenté de s’opposer au commerce de l’opium mais les armes britanniques, avec le soutien de Washington, ont eu le dessus. Londres a créé une colonie à Hong Kong et, en 1865, est fondée la Hong Kong and Shanghai Banking Corporation par un commerçant écossais spécialisé dans l’importation d’opium (à l’époque, 70 % du fret maritime qui passait par Hong Kong concerne l’opium venu des Indes).

Depuis ce moment, l’histoire de la banque a suivi étroitement la politique extérieure du Royaume-Uni et les intérêts du grand patronat britannique en Asie. Après 1949 et la victoire de la Chine de Mao, la banque se replie sur Hong Kong, resté territoire britannique. Ensuite, entre 1980 et 1997, elle développe ses activités aux États-Unis et en Europe. 

Elle ne déplace son siège social de Hong Kong à Londres qu’en 1993, avant la rétrocession du territoire à la République populaire de Chine réalisée en 1997. HSBC reste incontournable à Hong Kong dont elle émet 70 % des billets de banques (le dollar de Hong Kong). Hong Kong constitue un élément clé dans la chaîne du blanchiment d’argent accumulé par la nouvelle classe dirigeante chinoise. Rappelons que le groupe mondial HSBC employait 260 000 personnes en 2014, est présent dans 75 pays et déclare 54 millions de clients |2|.

HSBC impliquée dans d’autres crimes financiers

Blanchiment, manipulation, vente abusive et frauduleuse, évasion fiscale... HSBC a plus d’un tour dans sa manche !
En plus du blanchiment d’argent de la drogue et du terrorisme |3|, HSBC est impliquée dans d’autres affaires : la manipulation du marché des taux de change (l’affaire a éclaté en 2013 et porte sur un marché quotidien de 5 300 milliards de dollars) |4|, la manipulation des taux d’intérêt interbancaire (dont le Libor) |5|, 

la vente abusive et frauduleuse de dérivés sur les taux d’intérêt, la vente abusive et frauduleuse de produits d’assurances aux particuliers et aux PME au Royaume-Uni (la FSA, l’autorité de contrôle britannique, a poursuivi HSBC dans cette affaire qui a révélé que la banque a vendu des assurances ne servant à rien ou si peu ! |6|), la vente abusive de Mortgage Backed Securities aux Etats-Unis, la manipulation du cours de l’or et du cours de l’argent (l’affaire a éclaté en janvier-février 2014 |7|) et l’organisation à une échelle massive de l’évasion fiscale des grosses fortunes (voir ci-dessous).
Hervé Falciani, le Edgar Snowden d’HSBC ?

Hervé Falciani, un citoyen franco-italien, a travaillé aux services informatiques de HSBC Suisse à Genève de 2006 à 2008. Avant de quitter la banque, il a copié 127 000 fichiers qui relient HSBC à des opérations massives de fraude et d’évasion fiscale dans laquelle elle joue un rôle souvent actif. Il s’installe en France. La Suisse décide de l’arrêter et lance un mandat d’arrêt international via Interpol pour « soustraction de données », « violation du secret bancaire et du secret commercial » et « présomption de service de renseignements économiques ». Il faut souligner que la Suisse n’a pas attaqué HSBC.

Début 2009, le domicile niçois de Falciani fait l’objet d’une perquisition effectuée par la police locale. Les infos qu’il détient sont explosives : parmi les 127 000 fichiers se trouvent des exilés fiscaux français (8 231 selon Falciani), belges (plus de 800), espagnols (plus de 600 noms), grecs (la fameuse liste dite Lagarde car la ministre française l’a remise aux autorités grecques en 2010, elle contient environ 2 000 noms), allemands, italiens, mexicains, états-uniens... Hervé Falciani remet tout ou une partie des informations qu’il détient aux autorités françaises et à celles d’autres pays.


Ensuite, selon ses dires, il collabore avec les autorités de Washington auxquelles il livre des informations qui font avancer l’affaire du blanchiment par HSBC de l’argent des cartels de la drogue du Mexique et de Colombie. Puis il se rend en Espagne en 2012 afin de collaborer avec les autorités espagnoles. Il y est d’abord arrêté en application du mandat d’arrêt lancé par la Suisse. La Suisse insiste pour que l’Espagne lui livre Hervé Falciani, ce que l’Espagne refuse en mai 2013 car la justice espagnole le considère comme un témoin privilégié dans plus grandes affaires de fraude et d’évasion fiscale |8|. En effet, la communication aux autorités espagnoles des données dérobées par H. Falciani avait permis dès 2011 de découvrir une grande quantité d’argent (environ 2 milliards €) déposée en Suisse par des membres de la famille d’Emilio Botin, le président de Santander (la première banque espagnole).


Celui-ci, acculé, a versé aux autorités espagnoles 200 millions € d’amende. Les données livrées par H. Falciani ont également débouché sur le scandale du financement frauduleux du Parti Populaire, le parti du premier ministre Mariano Rajoy |9|. La justice espagnole fournit une protection policière permanente à Hervé Falciani. Les autorités belges et françaises rencontrent H. Falciani et utilisent les données fournies, instruisent des dossiers. Il n’est pas du tout certain que cela débouchera sur des condamnations pour fraude car il est plus que probable que des arrangements financiers (en Belgique, cela s’appelle des régularisations fiscales) permettront aux fraudeurs d’y échapper.


Il faut souligner que, dans cette affaire, non seulement la Suisse cherche à arrêter le lanceur d’alerte, c’est le cas également en Grèce où la justice a arrêté l’éditeur de la revue « Hot Doc », Kostas Vaxevanis, parce qu’il avait osé publier en octobre 2012 la liste Lagarde-HSBC-Falciani que les autorités grecques avaient égarée depuis trois ans |10|. Suite aux réactions citoyennes en Grèce et sur le plan international, le journaliste a finalement été acquitté lors de son procès. Il n’est pas facile de dénoncer une banque et les riches fraudeurs qu’elle protège ou, ce qui revient à peu près au même, de dénoncer les riches fraudeurs qui protègent les banques et leur sacro-saint secret bancaire. Il y a bien une véritable symbiose entre les grandes banques et la classe dominante, comme existent des passerelles permanentes entre les gouvernants et les grandes entreprises, en particulier celles de la finance.

HSBC a décidé de contourner une directive de l’Union européenne


En 2013, l’Union européenne a annoncé qu’elle fixait une limite aux bonus que pouvaient recevoir les dirigeants et les traders d’une banque. Le bonus ne peut pas être supérieur au double de la rémunération salariale fixe. Si un dirigeant a une rémunération fixe de 1,5 million d’euros par an, les bonus ne pourront pas dépasser 3 millions d’euros (donc une rémunération totale de 4,5 millions). Qu’à cela ne tienne, la direction d’HSBC a annoncé en février 2014 qu’elle allait fortement augmenter la rémunération fixe de ces dirigeants afin que leur bonus ne soit pas réduit |11|.

Conclusion

La banque HSBC devrait être fermée, sa direction devrait être licenciée sans indemnité et poursuivie en justice. Le mastodonte HSBC devrait être divisé sous contrôle citoyen en une série de banques publiques de taille moyenne dont les missions devraient être strictement définies et exercées dans le cadre d’un statut de service public.

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 Notes

|1| Voir notamment http://www.lemonde.fr/economie/arti...
|2| Voir son site official : http://www.hsbc.com/about-hsbc
|3| Voir Eric Toussaint, « Les barons de la banque et de la drogue », publié le 14 avril 2014, http://cadtm.org/Les-barons-de-la-b...
|4| Voir Eric Toussaint, http://cadtm.org/Comment-les-grande...
|5| Voir http://cadtm.org/Les-grandes-banque... publié le 30 avril 2014
|6| Le Monde, “Cernée par les scandales, HSBC ternit un peu plus la réputation de la City”, 1er août 2012.
|7| Financial Times, “Fears over gold price rigging put investors on alert. German and UK regulators investigate”, 24 février 2014.
|8| Le Soir, « Vol de fichiers bancaires chez HSBC : le récapitulatif », 8 mai 2013, http://www.lesoir.be/239380/article...
|9| Le Monde, "Evasion fiscale : le parquet espagnol s’oppose à l’extradition de Falciani, ex-employé de HSBC", 16 avril 2013 http://www.lemonde.fr/europe/articl... The New York Times, "A Banker’s Secret Wealth", 20 septembre 2011, http://www.nytimes.com/2011/09/21/b... "The French government passed on to Spain data that it had obtained from Hervé Falciani, a former employee in HSBC’s Swiss subsidiary, naming almost 600 Spanish holders of secret bank accounts. Among those was one belonging to the estate of Mr. Botín’s father." http://www.nytimes.com/2011/09/21/b...
|10| Kostas Vaxevanis, "Pourquoi j’ai publié la liste Lagarde", The Guardian, 31 octobre 2012
"http://www.presseurop.eu/fr/content...
|11| Financial Times, “HSBC plans to sidestep EU Bonus cap revealed”, 25 février 2014.
Eric Toussaint, auteur de Bancocratie (Editions Aden, Bruxelles, 2014), maître de conférence à l’université de Liège, est porte-parole du CADTM international et membre du conseil scientifique d’ATTAC France.

vendredi 6 février 2015

Questions sur la dette grecque.

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La dette a servi de prétexte dans tous les pays européens pour mener des politiques d’austérité drastiques qui ont amené l’Europe au bord de la déflation et qui ont eu des conséquences sociales dramatiques. La dette grecque est aujourd’hui au cœur de l’affrontement entre le nouveau gouvernement du pays et les institutions européennes.

1) D’ou vient-elle ?

Quadruplant pendant la dictature des colonels entre 1967 et 1974, elle a continué à croître par la suite à cause de l’importance des dépenses militaires (4% du PIB, contre 2,4% en France) dont les entreprises européennes d’armement ont été les grandes bénéficiaires, des dépenses somptuaires, pour la plupart inutiles, des jeux olympiques de 2004, de la corruption généralisée des classes dirigeantes et de l’impossibilité de faire payer l’impôt aux plus riches, parmi lesquels l’Église orthodoxe et les armateurs.
La croissance de la dette depuis la crise est le produit de l’effet combiné des cures d’austérité, qui ont plongé le pays dans la dépression, et de la spéculation financière qui fait exploser les taux d’intérêt. En 2009, avant même l’éclatement de la crise de la dette grecque, les banques se refinançaient auprès de la Banque centrale européenne (BCE) au taux de 1 % et prêtaient à la Grèce à 6 %, ce taux passant même à 12 % début 2010. Salué par la plupart des commentateurs, le retour de la Grèce sur les marchés financiers en avril 2014 s’est traduit par un emprunt à un taux de 4,75 % alors que le taux de refinancement des banques était de 0,25 %. Conséquence : la dette est passée de 113 % du PIB en 2009 à 174 % aujourd’hui et se monte à 319 milliards d’euros et ce, malgré une timide restructuration en mars 2012.

2) Que penser de la première restructuration de la dette grecque ?

Une restructuration d’une dette consiste à en réduire le montant et/ou à en étaler le remboursement. A partir d’avril 2010, la Grèce est soumise à des attaques spéculatives de la part des marchés financiers. Les taux d’intérêt explosent et le pays est au bord de la faillite ne pouvant plus emprunter pour refinancer sa dette. L’Union européenne impose des plans d’austérité massifs et met le pays sous la tutelle de la Troïka composée de représentants du Fonds monétaire international (FMI), de la Banque centrale européenne (BCE) et de la Commission européenne. De nouveaux crédits sont accordés à la Grèce pour qu’elle rembourse ses créanciers. Mais l’activité économique s’effondre et la dette continue de croître pour atteindre 160 % du PIB en 2012.

Devant cette situation, la Troïka accepte en mars 2012 une restructuration de la dette grecque qui prend la forme d’un échange des anciennes obligations contre des nouvelles obligations de valeur plus faible et de durée plus longue. Elle concerne les créanciers privés (banques, compagnies d’assurances, fonds d’investissement). Le montant de la dette grecque concerné par cet échange atteint 206 milliards d'euros (sur une dette publique globale de plus de 360 milliards). Les anciennes obligations grecques sont échangées contre des obligations émises par le Fonds européen de stabilité financière[1] (FESF) et contre de nouvelles obligations grecques de maturité plus longue. Au total, les créanciers privés vont perdre jusqu'à 107 des 206 milliards d'euros de dette grecque qu'ils détenaient.

En fait, cette perte est toute théorique car en mars 2012, la valeur des obligations grecques sur le marché secondaire était quasi nulle car la Grèce était dans l’incapacité de les rembourser. Les banques et autres compagnies d’assurance et fonds d’investissement ont donc échangé des titres qui ne valaient plus rien contre des titres dont une partie est garantie par le FESF et dont l’autre aurait beaucoup plus de chances d’être remboursée par l’État grec. Une plutôt bonne affaire donc.
L'objectif de cette restructuration était de réduire le poids de la dette, de plus de 160% du PIB à 120 % en 2020. Elle s’est accompagnée de nouvelles exigences de la Troïka qui a imposé au pays de nouveaux plans d’austérité. Le résultat est connu : après une légère baisse au cours de l’année 2012, le pays a subi une purge sociale sans précédent et le poids de la dette a continué à augmenter.

2) Qui la possède aujourd’hui ?

Avant la restructuration de mars 2012, la dette grecque était détenue à 57 % par des investisseurs privés. Aujourd’hui, la situation est tout à fait différente. L’essentiel de la dette grecque est détenu par des créanciers publics : prêts bilatéraux des États européens 53 milliards d’euros ; FESF : 141,8 milliards ; FMI : 32 milliards ; BCE : 27,7 milliards ; créanciers privés : 44 milliards d’euros. La question de la dette grecque, avant d’être économique, est donc surtout politique.

4) Que dire des exigences de la Troïka ?

La Troïka a fixé l’objectif que la dette grecque représente 120 % du PIB en 2020. Elle en représente aujourd’hui 174 %. Il faudrait donc que le niveau d’endettement diminue de 54 points en six ans, soit 9 points par an en moyenne. Selon une étude de Natixis (Flash Economie n° 61, 29 janvier 2015), cela « supposerait de réaliser un excédent budgétaire primaire[2] de l’ordre de 6 à 9 points par an en fonction des hypothèses de croissance du PIB et de taux d’intérêt retenues. La Grèce, ni aucun autre pays de la zone euro n’a réussi à atteindre durablement un tel excédent primaire au cours de 25 dernières années ». Il s’agit donc d’un objectif totalement irréaliste et inatteignable.
La Grèce a réussi, au prix d’une dévastation sociale sans précédent, à dégager un léger excédent primaire en 2014. Mais cela est totalement insuffisant pour lui permettre de payer les intérêts de la dette - ils représentent entre 20 et 25 % des dépenses de l’État contre 8,8 % en France - , et de rembourser les titres arrivés à maturité. Or, en 2015, le pays doit théoriquement rembourser 9 milliards au FMI, dont 2,3 milliards en février/mars, puis 6,7 milliards à la BCE au mois de juin, et 15 milliards aux banques grecques. Il lui faudrait donc continuer à emprunter pour rembourser cette dette. Malgré des efforts inouïs, le peuple grec est toujours pris dans une spirale mortifère dont il ne peut sortir.

5) Que demande le nouveau gouvernement grec ?

Il a décidé d’en finir avec l’austérité et veut investir 12 milliards d’euros pour répondre à l’urgence humanitaire et faire repartir l’économie. Somme modeste en comparaison des 1000 milliards d’euros que la BCE, dans le cadre du programme LTRO[3] avait prêté aux banques, à un taux d’intérêt dérisoire, sans la moindre contrepartie. Mais il est impossible au nouveau gouvernement grec de tenir à la fois les échéances de remboursement et ses engagements électoraux. Le piège risque donc de se refermer sur lui. C’est pourquoi il demande un moratoire sur le paiement des intérêts de la dette, une négociation sur sa restructuration qui permettrait d’en annuler une partie et de conditionner le remboursement de la partie restante à l’activité économique. Considérant que la question de la dette empoisonne la vie de tous les peuples d’Europe, il demande la tenue d’une conférence européenne sur le sujet. De nombreux économistes considèrent qu’il faut aujourd’hui annuler toute ou partie de la dette grecque. Ainsi l’ancien directeur Europe du FMI Reza Moghadam, passé à la banque Morgan Stanley, qui supervisait donc les travaux de la Troïka, estime qu’il faudrait aujourd’hui un allègement de 50 % de la dette grecque.

6) Y a-t-il eu des annulations de dette publique en Europe ?

Le cas le plus connu est celui de l’Allemagne. Lors de la Conférence de Londres en 1953, sa dette avait été réduite de 62 % avec un délai de 30 ans pour le remboursement des créances restantes. Un moratoire de cinq ans a été instauré, les taux d’intérêt ont été réduits et le service de la dette ne pouvait pas dépasser 5 % des revenus d’exportation. Les réparations dues par l’Allemagne ont été remises à plus tard au moment de la réunification. La Grèce était directement concernée par ce point puisque la banque centrale grecque avait été pillée par les nazis lors de l’occupation du pays. Ce dommage est estimé aujourd’hui à 50 milliards d’euros, somme que le gouvernement allemand n’a jamais remboursée. Le Royaume-Uni a aussi bénéficié d’un traitement de faveur de la part des États-Unis au sortir de la seconde guerre mondiale[4]. Plus récemment en 2013, la BCE a été obligée d’accepter en catimini une restructuration de la dette irlandaise en échangeant des titres de l’IBRC, une structure bancaire irlandaise issue de la fusion des deux plus grosses banques en faillite du pays, contre des titres émis par l’État irlandais, violant ainsi les traités européens[5]. Ce cas illustre parfaitement que le respect des traités est à géométrie variable et que loin d’être une question juridique, le traitement de la dette est avant tout politique.

7) Quelles seraient les conséquences d’un effacement de la dette grecque ?

Les aides à la Grèce n’ont servi essentiellement qu’à payer les intérêts de la dette[6]. Elles ont été conditionnées par l’application de plans d’austérité et de réformes structurelles qui ont plongé le pays dans la dépression. Le PIB a ainsi diminué de 25 % en cinq ans, ce qui a contribué à augmenter le ratio dette/PIB. La Grèce a été ainsi prise dans une spirale mortifère. Obligée de faire appel de nouveau à l’aide européenne, elle a dû subir de nouveaux plans d’austérité qui n’ont fait qu’aggraver la situation. Ces aides ont d’ailleurs permis aux prêteurs de s’enrichir sur son dos[7] : ils ont emprunté sur les marchés financiers à un taux relativement bas pour prêter à la Grèce à un taux nettement plus élevé. C’est notamment le cas de la France qui a prêté 40 milliards d’euros à la Grèce dans le cadre de prêts bilatéraux ou par l'intermédiaire du FESF. Bref, l’aide à la Grèce a surtout aidé ses créanciers.

Patrick Artus (Flash Natixis, n° 12, 5 janvier 2015), que l’on ne peut soupçonner de complaisance vis-à-vis de Syriza, note qu’un effacement total de la dette grecque « ne changerait pas significativement la solvabilité budgétaire des pays de la zone euro ». Les États pourraient par exemple effacer les prêts bilatéraux (53 milliards) qu’ils ont accordés à la Grèce sans que cela pèse sur leur dette puisque l’effet de ces prêts sur cette dernière a été déjà comptabilisé.
Mais c’est surtout la BCE qui peut résoudre facilement le problème de la dette. Elle possède 27,7 milliards d’euros de la dette grecque et refuse obstinément (pour le moment) toute annulation. Elle pourrait rayer d’un trait de plume ces 27,7 milliards et pourrait aussi racheter aux institutions publiques (États, FESF) les titres grecs que ces dernières possèdent, et ce sans aucun risque économique. En effet, une banque centrale ne court aucun risque financier puisqu’elle peut se refinancer elle-même en cas de problème par création monétaire.

La BCE a d’ailleurs acheté déjà des titres publics sur le marché secondaire : le SMP (Securities Markets Programme) lui avait permis d’acheter 217 milliards d’euros d’obligations d’État de mai 2010 au début 2012. Elle vient d’annoncer qu’elle allait acheter sur le marché secondaire 60 milliards d’euros de titres par mois (dont les deux tiers seront des obligations d’État) de mars 2015 à septembre 2016, soit en tout 1140 milliards. Elle pourrait donc, dans ce cadre, tout à fait acheter de la dette grecque. Mais elle a décidé qu’elle n’achèterait que les emprunts publics les mieux notés, sauf si le pays accepte un programme d’aide du FMI, c’est-à-dire se soumet à la purge sociale que sont les réformes structurelles. La BCE ne laisse le choix qu’entre la ruine financière et la dévastation sociale. C’est évidemment la Grèce qui est visée ici. Soit, elle accepte de continuer à se soumettre au diktat de la Troïka, soit la BCE n’achète pas ses titres, ce qui reviendrait à livrer la Grèce à la spéculation financière. On le voit, la question n’est donc pas technique mais avant tout politique et renvoie à l’avenir de l’Europe.
 


[1] Le FESF, Fonds européen de solidarité financière, créé en 2010, vise à préserver la stabilité financière en Europe en fournissant une assistance financière aux États de la zone euro. Cette aide est conditionnée à l’acceptation de plans d’ajustement structurel.
[2] Le solde primaire d’un Etat désigne sa situation budgétaire avant le paiement du service de la dette. Ce dernier comprend les intérêts annuels et le montant annuel de la dette à rembourser.
[3] Dans le cadre du programme Long Term Refinancing Operation (LTRO), la BCE avait en deux fois, décembre 2011 et février 2012, prêté 1000 milliards d’euros aux banques dans l’espoir, resté vain, que celles-ci prêteraient aux entreprises afin de relancer l’économie.
[4] Voir Christian Chavagneux, http://www.alterecoplus.fr/%25c3%2589conomie/christian-chavagneux/dette-la-grece-demande-ce-que-langleterre-et-lallemagne-ont-obtenu-201501301214-00000715.html
[5] Pour plus de détails sur cette affaire, voir Romaric Godin, http://www.latribune.fr/actualites/economie/union-europeenne/20150128trib8834744bb/quand-la-bce-acceptait-une-restructuration-de-la-dette-irlandaise.html
[6] Le montant total des aides à la Grèce s’élève à 240 milliards d’euros (110 milliards décidés en mai 2010, et 130 milliards en mars 2012).
[7] La Grèce a cependant obtenu depuis mars 2012 que les profits réalisés par la BCE sur les obligations d’Etat lui soient reversés.