jeudi 1 mai 2014

Le brevetage de la nature en question

 
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Un petit événement est survenu mardi 29 avril dans l'hémicycle du Conseil économique, social et environnemental, à Paris, où le Haut Conseil des biotechnologies organisait, pour son cinquième anniversaire, un colloque consacré au brevetage du vivant. Guy Kastler, grand défenseur de la liberté pour les agriculteurs de reproduire leurs semences, s'est félicité des « convergences » entre la Confédération paysanne, qu'il représentait, et le Groupement national interprofessionnel des semences et plants (GNIS), pourtant généralement rangé dans le camp adverse.
 
C'est que le sujet à l'ordre du jour, celui des défis de la politique européenne face au brevetage des gènes, fait bouger les lignes de partage habituelles. La Confédération paysanne et le GNIS avaient déjà coprésidé le groupe de travail du HCB dont les conclusions ont abouti, en juin 2013, à une recommandation mettant en garde le gouvernement français sur les dangers pour la recherche de la multiplication de brevets délivrés au niveau européen sur des plantes, et en particulier sur des gènes dits natifs, c'est-à-dire existant tels quels dans la nature.
 
« Il y a une quasi unanimité des acteurs contre la brevetabilité des gènes natifs, à l'exception des grosses entreprises de semences, assure François Burgaud, directeur des relations extérieures du GNIS. La science fait tant de progrès qu'il va être de plus en plus facile d'isoler tel gène correspondant à telle fonction. S'ils sont systématiquement brevetés, c'est la fin des méthodes classiques de sélection par croisement. »
 
Lire aussi : « Les brevets sur le vivant verrouillent l’accès aux ressources génétiques »
« REVERSER DES DROITS À LA NATURE »
 
On a un peu parlé de gènes humains, lors du colloque, mais surtout des laitues, poivrons, tomates ou brocolis qui font l'objet de protections délivrées par l'Office européen des brevets. Ce dernier a ainsi breveté en mai 2013 des poivrons présentant un gène de résistance à la mouche blanche. Ce gène avait été trouvé par le semencier suisse Syngenta dans une variété jamaïcaine sauvage de poivron non comestible. « Les gènes natifs ne devraient pas être brevetables, car si on les brevète, il faudrait reverser des droits à la nature », a déclaré le sociologue Michel Callon, professeur à l'Ecole des mines.
 
Avec une certaine bravoure, Jean Donnenwirth, directeur juridique du semencier Pioneer pour l'Europe, a appelé à ne pas affaiblir le niveau de protection apporté par le brevet aux innovateurs. « Les gènes natifs vont constituer un axe majeur de recherche dans les années à venir face aux défis qui se posent à l'humanité en termes d'alimentation et d'agriculture, a-t-il déclaré. Les exclure du champ de la brevetabilité n'inciterait pas les grands acteurs du secteur privé à investir dans ce domaine. »
OBSTACLE À L'INNOVATION ?
 
Le brevet constitue-t-il un frein ou un moteur de l'innovation ? Chacun est resté sur ses positions mais Sophie Joissains, sénatrice (UMP) des Bouches-du-Rhône, a rappelé que son assemblée avait voté, en janvier, une résolution s'inquiétant notamment des risques de blocage de l'innovation du fait du brevetage des gènes natifs.
 
La question semble faire consensus sur le plan politique : dans un discours de clôture du colloque, le ministre de l'agriculture, Stéphane Le Foll, a finalement pris position contre les brevets sur les plantes et appelé à faire évoluer les pratiques de l'Office européen des brevets. Il n'a cependant pas été jusqu'à annoncer de texte de loi, sur le modèle de celui voté le 15 avril par l'Assemblée nationale, qui interdit la culture des organismes génétiquement mofidiés sur le sol français.

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