mercredi 26 août 2015

Melinda Saint-Louis: «Le traité transatlantique ne profitera qu’aux 1%».

Melinda Saint-Louis est directrice des campagnes internationales de Public Citizen, une organisation américaine qui s’oppose à la signature du traité transatlantique de libre-échange. Interrogée par Infolibre, elle estime que ce traité ne profitera qu’aux « 1% », soit à la seule élite économique européo-américaine.



Melinda Saint-Louis est directrice des campagnes internationales de Public Citizen, une organisation américaine qui défend les consommateurs et s’oppose clairement à la signature du traité transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP dans le jargon bruxellois, ou TAFTA pour ses adversaires), entre l’Union européenne et les États-Unis. Elle a participé à des conférences organisées par le groupe Greens/EFA dans le cadre du Parlement européen. Infolibre, partenaire éditorial de Mediapart en Espagne, a eu l’opportunité de recueillir son point de vue sur un traité que l’experte n’annonce bénéfique qu’aux « 1% », soit à la seule élite économique européo-américaine.

Les États de l’Union européenne traitent très différemment le TTIP. Certains en ont fait un vrai débat public. D’autres, au contraire, ont presque essayé de cacher son existence à leur population. Aux États-Unis, quelle place occupe le TTIP dans le débat public ?

En ce moment, le pays est davantage en proie à un débat sur le TTP, partenariat dit transpacifique, que le gouvernement est en train de négocier avec le Japon, l’Australie, la Malaisie et le Viêtnam. Les Américains sont très préoccupés par la disparition de postes de travail sur le sol national qu’est susceptible d’entraîner la signature de l’accord. Les standards de travail sont, en effet, bien plus bas au Viêtnam qu’aux États-Unis. Je crois que cette préoccupation quant aux dangers du TTP nourrit en même temps la lutte contre le TTIP, dont la signature est encore plus proche quoiqu’il soit moins présent dans le débat public.

Le TTIP est donc quand même l’objet d’un débat aux États-Unis… 

Oui, depuis plus de six mois déjà. Le débat se concentre notamment sur l’ISDS [tribunal d’arbitrage très conversé entre les investisseurs et les États] et les normes de protection des aliments. Une vaste campagne avait été lancée contre le mécanisme de législation « fast track », qu’a réussi à mettre en place le président Barack Obama. Par ce mécanisme, la signature de l’accord est facilitée, car le président n’aura plus qu’à le signer lui-même avant de le présenter au Congrès. La société civile s’est pourtant majoritairement opposée au « fast track », ainsi que les membres du Parti démocrate lui-même, pour qui le TTIP ne favorise que les grandes entreprises.

En Europe, les entreprises étant soumises à une régulation plus stricte qu’aux États-Unis, pensez-vous que le TTIP leur sera moins bénéfique qu’à leurs consœurs américaines ? 

Aux États-Unis, les entreprises ont davantage recours aux ISDS qu’ailleurs dans le monde. Des entreprises très litigieuses, notamment, ont l’habitude d’utiliser ce mécanisme juridique pour en tirer des bénéfices. L’Europe a donc de quoi se montrer inquiète : la signature du TTIP risque de donner beaucoup de pouvoir aux 47 000 entreprises américaines sur le territoire européen.

En même temps les grandes entreprises européennes ont autant soutenu ce projet que les américaines. Depuis les années 1990, d’un côté de l’Atlantique comme de l’autre, les grandes entreprises le promeuvent corps et âme ! Business Europe et la Chambre de commerce (les organisations patronales européennes et américaines) ont toutes les deux soutenu le TTIP.


L’Europe n’est pas la seule inquiète. Aux États-Unis, par exemple, nous craignons que les grandes banques européennes essaient d’utiliser le TTIP pour réduire le peu, trop peu, de réglementation financière que nous avons, difficilement, réussi à imposer suite à la crise économique. Je vois donc moins cet accord comme une lutte entre les sociétés américaines et européennes, que comme un traité qui ne bénéficiera, des deux côtés de l’Atlantique, qu’aux « 1% », soit à la seule élite économique. Un traité qui augmentera l’inégalité entre ceux qui ont tout et ceux qui n’ont rien.

Quels effets pourraient avoir le TTIP sur le consommateur américain ?

Les Américains ont très peur que le TTIP ne dérégule à nouveau, ou devrais-je dire, encore plus, le système financier. De nombreuses personnes ont perdu leur maison ou leur travail à cause de la crise financière et de la façon dont Wall Street et les banques ont jonglé avec la finance. Pour l’instant, nous n’avons pas encore obtenu la réglementation dont le pays a vraiment besoin. Et si le TTIP vient fixer des limites à ce que nous espérions pouvoir réaliser dans l’avenir… La stabilité financière est très précaire : cela pourrait conduire à une nouvelle crise.

La réglementation concernant la nourriture et les produits chimiques est bien meilleure en Europe qu’aux États-Unis, bien que plusieurs États américains se battent pour l’améliorer. Le gouvernement de Californie, par exemple, essaie de réglementer ces deux secteurs ; mais le TTIP risque de réduire sa capacité décisionnelle en la matière.

Faites-vous allusion au principe de « coopération réglementaire » inclus dans l’accord ?
La coopération alimentaire soulève de nombreuses inquiétudes. Il y a aussi d’autres préoccupations. Aux États-Unis, il y a une politique très populaire, à droite comme à gauche, qui est connue sous le nom de Buy America ou Buy Local. Cette politique vise à réinvestir les impôts des contribuables dans les emplois locaux grâce aux achats publics. Et ainsi à donner la préférence à certaines entreprises locales.


La Commission européenne juge cette politique discriminante et voudrait que les États-Unis ouvrent entièrement leurs portes aux entreprises étrangères. Alors qu’une des solutions pour sortir de la récession consiste à privilégier, protéger et investir dans l’emploi local, le TTIP risque de nous y remettre en plein dedans !

Vous assurez que l’argument clef qu’a trouvé Obama pour faire passer le TTIP, c’est qu’il serait utile à la sécurité nationale…

Oui, c’est en effet un argument purement rhétorique, mais je dois admettre qu’il a un certain impact sur la population. Le gouvernement sait très bien qu’il n’arrivera pas à vendre le TTIP avec des arguments économiques. Surtout quand on voit que dans le meilleur des cas, le TTIP se traduira par une croissance de 0,2 % au maximum.

Question traités de libre-échange, les États-Unis tiennent sûrement le haut du panier, on en a une palanquée. Ils ont presque tous nui à la majorité de la population, pour favoriser une toute petite minorité. Les gens ne croient plus à ces grands projets. L’ALENA (accord de libre-échange signé en 1994 entre les États-Unis, le Canada et le Mexique) a fait disparaître 1 million d’emplois au lieu des 200 000 qu’il aurait dû créer.
La population est donc sceptique, elle voudrait un autre argument : alors le gouvernement explique que le TTIP est un moyen de s’allier à l’Europe contre la Russie !

* L'article a été publié le 10 juillet 2015 dans le journal infoLibre, partenaire de Mediapart.

Traduit par Irene Casado Sánchez

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