Les leçons des jacqueries fiscales des agriculteurs d’Ile de France
A leur tour, les agriculteurs d’Ile de France se sont joints jeudi au concert des « jacqueries » fiscales.
Le revenu moyen de ces agriculteurs a été en 2012 de 97 800€. Comme
le signale le Figaro lui-même, le revenu moyen a été de 73 000€ en
Picardie et 67 100€ en Champagne-Ardennes.
Ces régions sont des régions de grandes cultures, céréales et
oléagineux. Les hausses de 20% du prix des céréales ( 58% des
agriculteurs d’Ile de France sont des céréaliers) et de 15-20% des prix
des oléagineux, expliquent ces revenus. D’ailleurs, dans la France
entière les revenus des céréaliers ont été de 72 000€.
A l’inverse les revenus des éleveurs et des viticulteurs ont diminué. Les premiers en raison :
- de la hausse du prix des céréales et oléagineux pour l’alimentation animale,
- des prix d’achat trop bas des grandes surfaces, pour les filières bovines,
- d’une concurrence allemande salariale insupportable pour la filière porcine,
- des intempéries pour les viticulteurs.
Dans ces conditions, la participation des agriculteurs d’Ile de
France à la fronde fiscale plurielle, a, comme d’autres, un relent
politicien évident.
Le tropisme droitier des agriculteurs et surtout de leurs dirigeants
La défense de la propriété, qu’ils soient propriétaires ou fermiers,
le souci de l’ordre, en regard du désordre citadin, a toujours poussés
les agriculteurs à droite.
« Midi Rouge » des années 1900-1980 exclu, qui penche cependant maintenant vers le front national.
A l’élection présidentielle de 2012, 40% des voix agricoles ont été à
Nicolas Sarkozy, 20% à Marine Le Pen et Bayrou, et seulement 8% pour
François Hollande.
La FNSEA a donc toujours été tout naturellement du côté droit de l’échiquier politique plutôt que du gauche.
En 1986, quand Jacques Chirac devient le premier ministre de François
Mitterrand, il appelle immédiatement François Guillaume, alors
président de la FNSEA , au Ministère de l’Agriculture,
Ses successeurs , Lacombe et Guyau avaient aussi de fortes attaches à
droite, Luc Guyau est membre de l’UMP, Jean-Michel Le Metayer fut aussi
un compagnon de route récompesnée par la droire.
Xavier Beulin, aujourd’hui aux commandes, est céréaliers et
protéiculteurs dans le Loiret, et président de Sofiprotéol, ce qui ne le
pousse pas naturellement vers la gauche.
Les gros poussent les petits à droite
Ces présidents ont toujours su, avec habileté, manœuvrer la base
agricole, y compris les éleveurs ou les « petits »
polyculteurs-éleveurs, dont la « situation de classe , comme disait le vieux Lukacs, les rapprochait plutôt du prolétariat, vers une “ position de classe ” et un comportement électoral de droite.
Aujourd’hui, nombre de petits éleveurs, dont le revenu est
fréquemment inférieur au SMIC, pour des journées de travail de 12 heures
et plus, rejoignent le Front national, à l’instar de nombreux autres “
prolétaires ”.
Comment-ont procédé les dirigeants agricoles, et les politiques de droite pour rameuter en permanence cet électorat ?
Depuis 50 ans, avec le Crédit agricole dont les dirigeants avaient le
même tropisme politique, ils se sont arrangés pour que le déclin de
l’agriculture, et, pour le dire plus net, la disparition des
exploitations marginales, garde un rythme “ socialement ” tolérable, les
SAFER organisant en en même temps la concentration des terres.
En 20 ans la moitié des exploitations a disparu.
Une politique agricole commune favorable aux gros exploitants
Ils se sont appuyés pour ce faire sur la Politique agricole commune (PAC).
Celle-ci a été défendue bec et ongles par tous les gouvernements de
droite, ceux de gauche étant obligés de suivre, terrorisés par la FNSEA.
De Gaulle n’a accepté, en 1958, de mettre en œuvre le Marché commun
qu’à cette condition.
Dans les années 62-80, la France bloquait les négociations à
Bruxelles -on “ arrêtait la pendule ” pour respecter symboliquement les
délais- tant que la France n’avait pas obtenu le maximum espéré.
Son intransigeance lui a d’ailleurs fait négliger d’autres domaines
dans lesquels il eût peut-être été plus judicieux de s’investir pour nos
jeunes d’aujourd’hui. Mais les agriculteurs allemands, danois, belges,
hollandais, et même anglais , dont les dirigeants nationaux
reprochaient, par ailleurs, à la France, le coût excessif de son
agriculture, profitaient bien en silence des mêmes subventions.
Ce n’est qu’en 1980, avec l’arrivée de Margaret Thatcher, qu’un frein
fut mis à la PAC ; la dirigeante anglaise réclamait en effet son chèque
en remboursement des versements anglais (“ I want my money back ”).
La PAC était alors exclusivement fondée sur l’aide aux prix. Quand
ils exportaient aux prix inférieurs du marché mondial, les agriculteurs
recevaient une restitution. Tout naturellement, les plus gros
producteurs s’enrichissaient et, comme ils se multipliaient avec la
concentration des terres, la FNSEA, qu’ils dirigeaient de fait,
maintenait cette pression éminemment “productive” sur les gouvernements
français.
A partir de 1992, trente ans après le début de la PAC, fut enfin
amorcée, une réduction des prix garantis, avec des aides directes pour
compenser.
En 2003, ces “aides à l’exploitation” remplacèrent les aides par les
prix. Mais comme ces aides sont attribuées à l’hectare, les mêmes en
profitent toujours, malgré les quelques contraintes écologiques
imposées, que d’ailleurs ils contestent.
En fait on a créé, à côté de la rente foncière liées à la
construction, une rente foncière agricole européenne. Pour la
répartition de ces subventions, le nouveau ministre de l’agriculture,
dans l’idée de favoriser les exploitations moyennes, a décidé de
favoriser les 52 premiers hectares de chaque exploitation ; les
exploitations de moins de 52 hectares, constituent 62% des
exploitations, mais les grandes exploitations profitent aussi de cet
avantage sur leurs 52 premiers hectares, y compris nos frondeurs d’l’Ile
de France, et nos céréaliculteurs de 100 ou 200 hectares.
Plus encore, la perte de subvention ne saura excéder 30% à horizon de
2020. Les manifestants franciliens, dont certains se plaignent sans
vergogne que leur subvention va baisser de 55 000 à 45 000€ (Le Monde
21 novembre) n’ont guère de souci réel à se faire.
Leurs recettes de subvention sont, de plus, assez bien gardées confidentielles
puisque seules sont publiées les aides accordées aux structures
collectives, mais pas les recettes des exploitations individuelles.
Une autre agriculture économiquement saine est possible
La pauvreté va donc continuer à régner dans une bonne moitié des exploitations notamment animales.
Pourtant une vraie réforme serait possible. D’une part laisser les
plus gros céréaliculteurs et protéiculteurs, comme nos viticulteurs –
ceux du Languedoc montrent le chemin- se battre sur le marché mondial.
D’autre part, pour l’élevage, se fixer deux voies :
- 1) celle de l’hyperproductivité, à la hollandaise ou la danoise, avec des exploitations géantes dont la production est destinée à l’exportation, mais avec, aussi, des contraintes de réutilisation énergétique des déchets ;
- 2) d’autre part, pour l’élevage encore, mais aussi pour les fruits et légumes, autour de toutes les villes de 20 000 à 50 000 habitants (à étudier) l’installation d’exploitations destinées à l’alimentation des agglomérations, de plus en plus en “ bio ”, ce qu’on dénomme le “ kilomètre zéro ”.
Faute de quoi certains pourraient rêver de la voie anglaise qui,
avec les enclosures des XV-XVIII èeme siyècle a réduit de 80% son petit
paysannat, en important une nourriture moins chère pour ses ouvrers, et
se trouve maintenant avec quelques exploitations rentables… aidées par
la PAC. Comme sa reine avec 470 000€ et le Prince Charles avec ses 181 000€ ! Suite...
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