Le
groupe agro-alimentaire Sofiprotéol devrait être le premier
bénéficiaire du renouvellement des agréments d’agrocarburants tout juste
annoncé par le gouvernement. Numéro un français du biodiesel, il est
présidé par Xavier Beulin, par ailleurs président de la FNSEA. La Cour
des comptes a pourtant déjà critiqué la rente financière dont bénéficie
sa société, en véritable championne des niches fiscales.
L’annonce est passée inaperçue, glissée en fin de discours de clôture de la Conférence environnementale, mi-septembre (voir ici et encore ici) :
le gouvernement vient de décider de renouveler les agréments des
agrocarburants jusqu’à fin décembre 2015. Par ce système mis en place à
partir de 2004, les producteurs d’éthanol et de biodiesel reçoivent des
quotas de production de carburants pour lesquels ils sont exonérés d’une
partie de la taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TIC). En 2012 et 2013, cette réduction fiscale s’élève à 8 € par hectolitre.
Cela
n’a l’air de rien. Mais la facture globale de cette niche fiscale est
faramineuse. Entre 2005 et 2010, elle représente 2,6 milliards d’euros
de manque à gagner pour l’État (en cumulé), estime la Cour des comptes (voir ici son rapport).
Alors que la filière n’a réalisé que 1,5 milliard d’investissement,
pointe le même document. En 2012, cette exonération partielle de la TIC a
représenté un manque à gagner d'environ 196 millions d’euros pour le
budget de l’État.
À l’origine,
ces agréments ont été accordés pour une durée de six ans. Le code des
douanes (article 265) n’en prévoit pas le renouvellement. Néanmoins, une
partie d’entre eux ont déjà été prolongés, puisque certains contrats
arrivaient à échéance dès 2010. Et le gouvernement vient donc d’annoncer
un nouveau round d’agréments pour trois années pleines.
Combien
va coûter cette rallonge de quotas ? La réponse se trouve dans le
projet de loi de finances 2013 : 250 millions d’euros affectés à
l’exonération plafonnée de taxe intérieure de consommation pour « les esters méthyliques d’huiles végétales et animales » (autrement dit, le biodiesel) et biogazoles de synthèse (voir ce document, p. 12). C’est le deuxième principal poste de dépense fiscale pour l’agriculture en 2013.
« Lubrifier les rapports avec les partenaires sociaux »
Mais
il y a un hic. Car ce montant est bien supérieur au total des
exonérations correspondant aux agréments prévus pour 2013. Dans le
tableau récapitulatif des agréments accordés, que publie la Cour des comptes dans son rapport (p. 64),
20,4 millions d’hectolitres de biodiesel sont prévus l’année prochaine.
Soit un coût global d’allègement de la TIC d’environ 160 millions
d’euros pour 2013.
Pourquoi,
alors, le gouvernement prévoit-il de dépenser 90 millions d’euros en
plus ? En fait ce chiffre correspond au report pur et simple, en 2013,
du montant total des agréments de 2012, à savoir 30,2 millions
d’hectolitres. Or, à y regarder de plus près, une société bénéficie plus
que toutes les autres de cette rallonge. C’est Sofiprotéol-Diester Industries, numéro
un du biodiesel en France. En 2013, si elle est autorisée à conserver
ses agréments de 2012, elle devrait ainsi recevoir un cadeau fiscal de
54,5 millions d’euros (voir notre calcul sous l’onglet Prolonger). Soit
presque les deux tiers des 78 millions d’euros de différence entre les
montants alloués à l’origine et ceux rallongés par le gouvernement.
Pour
le ministère de l’agriculture, qui a géré le dossier avec celui de
l’énergie, les 250 millions de dépense fiscale budgétés pour 2013 sont « un chiffre indicatif, c’est du prévisionnel qui peut encore évoluer ». La procédure se déroule dans le cadre européen, les agréments sont donc ouverts aux sociétés des autres États-membres.
Dans
tous les cas de figure, le premier bénéficiaire de la ristourne fiscale
sera bien le groupe Sofiprotéol. Or, cette société pionnière des
agrocarburants en France est présidée par Xavier Beulin, par ailleurs
président de… la Fédération nationale des exploitants agricoles (FNSEA), premier syndicat professionnel agricole. Cette double casquette ne crée-t-elle pas un conflit d’intérêts ? « Mais pas du tout, je ne suis pas actionnaire de Sofiprotéol », répond Xavier Beulin, « je
représente les intérêts de 250 000 producteurs d’oléagineux qui ont
accepté de construire une filière. On ne va quand même pas reprocher à
des paysans d’aller chercher de la valeur ajoutée pour leur activité ».
Au téléphone, il reconnaît avoir plusieurs fois abordé la question du
soutien public aux agrocarburants avec le ministre de l’agriculture,
Stéphane Le Foll.
Pour Jérôme Frignet, chargé de mission à Greenpeace, « ce renouvellement de l’exonération est une façon de lubrifier les rapports avec les partenaires sociaux »
alors que le processus de la transition énergétique voulu par le
gouvernement risque de tendre les relations avec le monde agricole.
Opposée aux agrocarburants, Greenpeace considère que leur bilan
environnemental est mauvais, qu’ils contribuent à la hausse des prix
alimentaires, et retardent l’évolution écologique de l’agriculture
française. L'ONG riposte à l'annonce gouvernementale par la publication
d'un dossier de bilan très critique des agrocarburants (à lire en cliquant ici).
« La situation de Xavier Beulin est quand même ambiguë, il y a mélange des genres, cela ressemble à un conflit d’intérêts », analyse de son côté Joël Labbé,
sénateur Europe Écologie-Les Verts (Morbihan) et auteur en juillet
dernier d’un amendement au collectif budgétaire supprimant l’exonération
de TIC pour les agrocarburants. « C’est un interlocuteur privilégié
du gouvernement et le président d’une société directement intéressée par
une aide gouvernementale », poursuit-il au sujet du dirigeant de la FNSEA.
Son groupe a prévu de proposer de nouveau cet amendement lors de la discussion du projet de loi de finances 2013. C’est « un point majeur »,
ajoute-t-il, rappelant la volonté affichée par l’exécutif de chasser
les niches fiscales. En 2011, le même amendement avait déjà été défendu
par la sénatrice du Nord Marie-Christine Blandin, et soutenu par des
élus socialistes, dont Nicole Bricq, éphémère ministre de l’écologie du
premier gouvernement Ayrault. Dans son rapport sur les aides
dommageables à la biodiversité en 2011, le Centre d’analyse stratégique
(CAS) avait aussi ciblé cette niche fiscale (voir ici ce rapport).
Les trois quarts de l'aide publique
Dans
son rapport paru début 2012, la Cour des comptes s’intéresse de près
aux fondements de la fortune de Sofiprotéol (5,6 milliards d’euros de
chiffre d’affaires en 2010). Depuis le milieu des années 2000, « les
agréments ont été en grande partie attribués au groupe Diester
Industries, qui regroupe suivant les années 70 à 74 % d’entre eux », estiment les auditeurs. Autrement dit, les trois quarts de l’aide publique aux agrocarburants.
Sofiprotéol
est né en 1983, à l’initiative de producteurs d’oléoprotéagineux qui en
constituent l’actionnariat de référence. En 2010, le groupe employait
6 400 personnes. Il possède sept sites de production en France, et six
autres en Europe. Peu connu du grand public, le nom du groupe est apparu
dans l’actualité quand il a voulu acquérir le volailler Doux, en pleine
panade – offre retoquée par le tribunal de commerce de Quimper cet été.
À entendre Xavier Beulin, l’exonération de TIC est indispensable à la survie de la filière. « La filière Diester va perdre de l’argent en 2012, une de nos plus mauvaises années », notamment à cause de la hausse des prix des céréales qui renchérit ses coûts de production. Si bien que, pour lui, « sans exonération, c’est de la vente à perte. On ne va quand même pas fermer cinq ou six usines ! ». Pour le ministère de l’agriculture, le maintien de la niche doit « accompagner
les producteurs de biocarburants de première génération qui sont aussi
ceux qui vont produire la deuxième, et garder chez nous cette industrie
dans le contexte d’une forte concurrence internationale, notamment de
l’Argentine ».
Mais
c’est une véritable rente que Sofiprotéol s’est constituée au fil du
temps, grâce à la TGAP qui frappe les distributeurs et les pétroliers
qui n’incorporent pas assez d’“agro” dans leurs carburants : « La
direction générale du trésor considère que les producteurs de
biocarburants bénéficient d’une rente assimilable à une subvention », écrivent les rapporteurs de la Cour des comptes.
Ils ajoutent que « compte
tenu de la lourdeur de la sanction que représente la TGAP, et faute de
source alternative d’approvisionnement extérieur compétitif, les
pétroliers et les distributeurs ont été contraints d’accepter que
Diester Industries récupère dans son prix la quasi-totalité du montant
de défiscalisation de la TIC ». Une facture, au bout du compte, assumée par les consommateurs, analyse la Cour.
Les
exonérations de TIC vont décroître par palier à partir de 2014, pour
arriver à zéro au 31 décembre 2015, précise une source
gouvernementale. À l’en croire, le renouvellement des agréments était
nécessaire pour maintenir à 7 % le taux d’incorporation des
agrocarburants dans les carburants des automobilistes français.
D’origine européenne, cet objectif a été intégré dans la loi française.
Le gouvernement souhaite s’en tenir à ce plafond, voulant ainsi se
démarquer du précédent gouvernement qui avait cherché à accélérer le
processus. Mais en réalité, le taux d’incorporation avait été fixé à 7 %
dès 2010.
« Quels seront la place et le rôle des agrocarburants dans le projet de loi sur la transition énergétique »,
s’interroge Jérôme Frignet de Greenpeace, pour qui le bilan en emplois
et en retombées économiques de la filière est beaucoup moins avantageux
que ne le prétendent les industriels.
Alors
qu’ils sont critiqués de longue date et que la Commission européenne
vient de recevoir un rapport sévère de l’International food policy
rearch institute (IFPRI, voir ici)
sur le bilan environnemental des agrocarburants, l’annonce de Jean-Marc
Ayrault n’a pas provoqué de remous. Peut-être parce qu’elle était
savamment insérée après une phrase annonçant que le gouvernement « a
décidé de demander à nos partenaires européens et au niveau
international une pause dans le développement des biocarburants de
première génération ». Soit à peu près le contraire de ce qu’il s’apprête à faire pendant trois ans.
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Calcul du "cadeau" fiscal à Sofiprotéol-Diester Industrie :
On
décompte environ 600 000 MT de moins en 2013 qu'en 2012 pour Diester
Industries, selon les agréments publiés par la Cour des comptes. Il faut
les multiplier par 11,36 pour les convertir en hectolitre.
Si bien que cela donne :
600 000 × 11,36 = 6 816 000 hl
Soit 6.816.000 × 8€ = 54,5 millions d'euros de "cadeau" pour Sofiprotéol.
Si bien que cela donne :
600 000 × 11,36 = 6 816 000 hl
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