L'office fédéral allemand des statistiques
a annoncé lundi 9 février que les excédents commerciaux Outre-Rhin
avaient dépassé les 200 milliards d'euros en 2014. Si les admirateurs
récurrents du modèle allemand s'en servent pour confirmer leurs
hypothèses, cette "performance" illustre surtout les résultats d'une
politique économique agressive envers ses partenaires européens.
Bien que
ce montant -217 milliards d’euros- soit dépourvu de toute réalité
quotidienne, sa signification apporte une grande fierté à l’Allemagne et
à ses admirateurs. Il s’agit du montant de l’excédent commercial de
biens allemands, qui atteint, pour cette année 2014, un nouveau record.
L’équivalent du PIB de la Grèce ou encore du Portugal.
Bien évidemment, ce type de publication
engendre toute une série de réactions admiratives et envieuses, face à
"l’insolente réussite allemande".
Le
modèle allemand, c’est "trop bien", c’est du solide. Par contre, le
fait objectif que ce surplus commercial soit à l’origine de
déséquilibres gigantesques au sein de la zone euro et qu’il soit une
cause majeure de la crise actuelle ne pèse pas bien lourd face à
l’émerveillement collectif.
Pourtant, en mars 2014, même la Commission européenne avouait se préoccuper du problème posé par les excédents allemands :
"L’Allemagne connaît des
déséquilibres macroéconomique qui exigent un suivi et une action
politique. En particulier, le compte courant a constamment enregistré un
excédent très élevé, ce qui reflète une forte compétitivité et une
grande quantité d'épargne investie à l’étranger. C’est aussi un signe
que la croissance domestique est restée faible et que les ressources
économiques n’ont pas été allouées de façon efficiente."
De quoi s’agit-il ? Un excédent de compte
courant correspond à une différence favorable entre les exportations et
les importations. Le pays exporte plus qu’il n’importe, sa balance est
donc positive. Mais il ne s’agit pas là de l’explication la plus
satisfaisante. Car un tel excédent a également une autre
signification : La consommation allemande est tout simplement
insuffisante pour absorber sa production totale. Si le pays produit
beaucoup et consomme peu, un déséquilibre apparaît et il est alors
nécessaire d’exporter le surplus en question.
Toute la
question repose alors sur la méthode employée pour parvenir à ce
résultat record de 217 milliards d’euros. Au cours des années 90,
l’Allemagne post-réunification souffre d’un chômage élevé et d’une
faible compétitivité. Afin de remédier à cette situation, et de
façon concomitante à l’arrivée de l’euro, le pays va mettre en place une
stratégie de contrainte salariale. Les salaires sont bloqués.
Dans une ambiance européenne de croissance
soutenue, l’Allemagne va alors bénéficier de la forte demande de ses
partenaires européens. A l’inverse, la demande intérieure allemande
pantoufle sagement en raison de la stagnation des salaires. Le
déséquilibre recherché commence à produire ses effets. Ainsi, les
exportations vont progresser d’autant plus que les salaires seront
stables, et ce, en surfant sur la croissance européenne, notamment des
pays périphériques. Pour être clair, l’Allemagne va "importer"
la demande des autres pays, ce qui revient à dire que le pays exporte
son chômage chez ses partenaires. Bien entendu, il ne s’agit
pas d’une stratégie coopérative mais bien d’une pure agression
économique. Mais à cette époque, au sein de la zone euro, c’est le sacre
du "vivre ensemble".
Car si une telle stratégie peut être tolérée
dans une union afin de permettre à un pays de se redresser, certaines
limites doivent être respectées. Mais ces limites ont été explosées
depuis longtemps par l’Allemagne. Jusqu’à en arriver à cet excédent
commercial de 217 milliards d’euros.
Un
excédent qui ne se justifie aucunement par une quelconque "supériorité"
du travail allemand. En effet, si le pays avait réussi à se redresser
grâce à des efforts en termes d’investissement, de recherche et
développement, d’infrastructures modernes, d’éducation, bref, en une
amélioration de la productivité, cela se verrait dans les chiffres.
Au lieu de cela, les gains de productivité
allemands sont restés faibles (inférieurs à ceux de l’Espagne et
identiques à ceux de la Grèce entre 1998 et 2014). Les dépenses
d’investissement "productifs" (machines et équipement) n’ont progressé
que de 2.99% en termes nominaux au cours des 15 dernières années. Une
misère. La part globale de l’investissement est passée de 23% en l’an
2000 à moins de 20% en 2014. Les dépenses d’infrastructure ont suivi le
même chemin. Non. La conquête allemande ne s’est pas faite en améliorant
la productivité.
Seulement en baissant le part des salaires. Ce n’était pas la peine de faire compliqué.
Mais cela a rendu les entreprises locales hyper compétitives.
Bêtement et naïvement, les entreprises des autres pays européens ont
continué de partager la valeur ajoutée avec leurs salariés, ce qui a
provoqué leur perte. Le partage des richesses est décidemment une notion
"has been".
Entre 2000 et 2014, la part des profits des
entreprises allemandes dans la valeur ajoutée a ainsi progressé de 60%
alors que la part des salaires ne progressait que de 30%. Du simple au
double. Sans hausse de salaires, les consommateurs allemands se
retrouvent bridés dans leurs achats, ils subissent une situation de
sous-consommation par rapport à la production.
Mécaniquement, cette faible consommation va générer une hausse de l’épargne. Non pas une hausse de l’épargne des ménages allemand, mais des entreprises qui se retrouvent gavées de cash.
Et l’ironie de ce mécanisme est que, comme cela est précisé plus haut,
les entreprises allemandes ne vont pas profiter de cette situation
favorable pour investir dans leur pays. A quoi bon investir dans un pays
qui ne consomme pas ? Pas de dépenses dans les salaires, pas de
dépenses dans l’investissement. Entre 2000 et 2008 les entreprises
allemandes vont alors choisir de financer les déficits des pays
périphériques de la zone euro. Avec un succès très relatif.
Mais depuis 2008, les pays périphériques
n’ont plus le droit de recourir aux déficits pour se protéger des
excédents allemands et sont "invités" à redresser leurs comptes. Mais
aussi longtemps que les excédents allemands existent, la seule solution
pour absorber de tels excédents est d’accepter une forte hausse du
chômage. Afin de rétablir l’équilibre.
Evidemment, ces "autres" pays européens
pourraient être tentés de continuer à faire la même chose pour rattraper
leur retard. Le problème, c’est que cela n’est pas possible aussi
longtemps que l’Allemagne continue dans la même voie. Car si tout le
monde compte sur le voisin pour acheter sa production, il arrive un
moment où il n’y a plus de voisin.
L’Allemagne agit encore
aujourd’hui comme si elle était le malade de l’Europe, alors qu’elle est
en situation de plein emploi. La zone euro n’est plus une zone de
coopération, elle est une zone de compétition dure ou le plus fort ne
cesse d’appuyer sur son avantage.
A l’inverse, les vrais malades ne peuvent
pas compter sur un juste retour des choses. Pour les entreprises
allemandes, en Europe, c’est chacun mon tour. Tant pis pour les salariés
allemands, et tant pis pour les autres. Ces 217 milliards d’excédents
ne sont rien d’autre qu’une preuve flagrante du dysfonctionnement
européen.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire